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L’amour unilatéral

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Après avoir rencontré Émilie à l’école primaire, j’étais persuadé que lorsque l’on se sentait bien avec quelqu’un, le phénomène était forcément commun…

Douce mais cruelle présomption que j’ai pu découvrir à mes dépens quelques années plus tard… Le souvenir d’Émilie ancré dans un coin de ma tête me laisse encore rêveur et naïf.

C’est dans cet état d’esprit que j’entrais au collège, le même que l’on voit dans les séries américaines sauf qu’il ne ressemblait pas du tout aux séries américaines.

Du haut de mes 10 ans, plein de maturité et d’espoir professionnel (je voulais devenir chercheur, je ne savais pas de quoi mais je trouvais ça bien), j’entrais dans un univers complètement différent où je redevenais le petit parmi les grands, où je devais reconstituer ma vie sociale, réinventer mon image, accéder à un nouveau cercle d’amis, me faire accepter … et paraître cool …

J’ai pris place dans la classe 221 avec Mme dekemasker, professeur principal, qui nous expliquait les règles de vie au collège … j’écoutais avec attention ses conseils et regardais aussi par la même occasion le comportement de mes camarades afin d’essayer de repérer les gros durs (pour éviter de les embêter) et trouver mes potentiels futurs amis. Jusqu’au moment où une voix douce se fit entendre sur mon côté droit :

«est ce que tu peux me prêter ton taille crayon ? Ma mine s’est cassée» Phrase banale me direz-vous … et pourtant cette phrase résonnera dans ma tête jusqu’à la fin de ma vie tant celle qui l’émit m’ensorcela par sa voix et me fit tomber sous son charme de par la douceur de son visage.

Une petite fille brune tout droit sortie d’un conte de fées, des yeux en amande, deux petites fossettes, un sourire digne de Rudy dans Cosby Show, et un parfum qui m’enivrait (j’ai appris quelques années plus tard que ce parfum était tout simplement de la crème Nivea). Après ce moment d’égarement qui dura au moins trente secondes, je lui tendis mon taille crayon d’une main tremblante et d’un regard furtif. Elle me dit «Merci Emmanuel, moi c’est Noémie…». Sur le coup j’ai failli croire qu’elle avait des super pouvoirs et qu’elle était la fille cachée de superman… mais lorsqu’elle me tendit ma carte d’identité que j’avais fait tomber,  je compris qu’elle savait juste lire… Avant même que je ne me rende compte réellement de ce qu’il m’arrivait, la récréation sonna… Noémie sortit avec moi et commença à me poser des questions sur ma vie dignes de Rick Hunter et Columbo réunies… C’était le début d’une grande histoire, durant l’année scolaire nous nous asseyions l’un à côté de l’autre à l’ensemble des cours, nous mangions ensemble à la cantine (il vaut mieux être deux à la cantine pour se soutenir lors des repas). Pendant les récréations, nous restions à deux assis sur un banc loin du regard des autres … elle m’expliquait sa vie, me parlait de sa famille, de ses problèmes, ses goûts musicaux, ses rêves … quant à moi, j’absorbais… Mais ça ne me dérangeait pas, j’appréciais sa compagnie, j’appréciais ses questions, nos rigolades, ses petites sautes d’humeur, le temps n’existait plus, et je commençais à aimer ses moments…

N’étant pas très doué dans les relations amoureuses (je n’avais qu’une histoire à mon actif) et souhaitant faire éclater notre relation au grand jour, je mourais d’envie de lui demander de sortir avec moi afin qu’elle soit ma copine officielle. Il fallait juste que je me lance …une parole, un regard, un battement de cil, un froncement de sourcil ou un moonwalk de Michael Jackson aurait pu être un signe de sa part pour que je saute le pas mais étrangement, je n’en percevais aucun …

L’année avançait et notre relation amicalement amoureuse s’intensifiait, on passait du temps ensemble après l’école, je la ramenais chez elle, et ensuite elle me ramenait chez moi, je la ramenais chez elle, elle me ramenait chez moi, je la ramenais chez elle et mon père me ramenait chez moi …

Les sentiments que je lui portais me dévoraient, chaque fois qu’elle était avec moi, qu’elle me regardait, qu’elle bougeait ses cheveux comme dans les publicités l’Oréal, je craquais. Aussi tonique qu’un chamallow, mon esprit tournait au ralenti et mon cœur battait la chamade…

Alors je pris mon courage à deux mains, et un soir, dans mon lit, sous la lumière tamisée de la lampe de poche, je lui écrivis un poème… c’était un poème qui me prit du temps tant par le choix du papier que dans le choix des mots, un poème ayant peu de fioriture, se concentrant sur la force de mes sentiments et l’objet de ma demande … un poème plein de sens dont je me souviens encore les vers :

Veux-tu sortir avec moi Noémie? Oui Non

Entoure la bonne réponse et redonnes moi le papier…

Manu

Shakespeare et Victor Hugo auraient été fiers de moi, un véritable artiste incompris du grand public dont le talent résidait dans la simplicité et la force de ses idées (excusez moi je m’égare…).
D’un pas confiant le lendemain matin, je m’en allais le cœur léger clamer mon amour à la femme de ma vie… je lui donnai mon poème de la manière la plus simple qu’il soit. Je lui glissai dans sa trousse pendant le cours de technologie, comme on effectuait des TP sur des machines, je ne serai pas juste à côté d’elle lorsqu’elle trouvera le papier dans sa trousse mais je pourrai apercevoir sa réaction cachée au sein de ma classe surchargée (nous étions 12 …).

8h12 : Elle ouvre la trousse, voit le mot. 8h13 : Elle ouvre le mot qui est plié en 12 (je m’étais appliqué car ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre la femme de sa vie)

8h14 : Elle a un moment d’arrêt, esquisse un sourire et signe de sa douce main le papier qui, à mes yeux, représente le plus jeune contrat de mariage au monde.

8h17 et trente deux secondes : Elle retourne à ses activités de technologie, durant le cours je peux sentir son regard et celui de ses amies sur moi, accompagnés de petits ricanements … sûrement pour évacuer le stress de notre future relation…

9h50 : elle vient me chercher comme d’habitude pour aller manger notre petit prince tout choco (c’est les meilleurs gâteaux du monde)… nous commençons à manger lorsqu’elle me rend mon papier avec un sourire…

J’étais le garçon le plus heureux du monde jusqu’au moment où j’ai posé les yeux de manière plus précise sur le papier …N.O.N

Elle avait entouré non pourquoi ? Je ne comprenais pas … je ne l’avais pas mis en anglais pour qu’elle ne se trompe pas… qu’est ce qui s’était passé… avais-je mal agi ?

Je n’entendais plus rien autour de moi, je me sentais seul, tout devenait noir … j’avais l’impression d’être dépourvu de toute mon énergie. Je tournais ma tête vers elle et mes yeux lui posèrent la question que mon cœur criait … pourquoi non?

Noémie me répondit en mangeant son gâteau qu’elle était amoureuse de Kévin en secret depuis le CM2, qu’elle m’aimait bien, que j’étais gentil (Tu vois Yassine, l’expression existe depuis longtemps) et qu’elle voulait continuer à être amie avec moi.

Je suis resté figé devant elle avec un air faussement décontracté et un sourire en coin ; je sentais mon cœur se fissurer par chacune de ses paroles… attendant juste les larmes de mon être pour asséner le coup de grâce et le briser en mille morceaux.

L’année suivit son cours et je suis resté ami avec Noémie. A défaut d’avoir son amour, je me contentai de son affection … Une faible compensation pour mon cœur, un coup pour un comportement dont je découvrirai par la suite le nom… mon égo. L’année suivante, je changeais d’établissement et perdis de vue Noémie (volontairement ou involontairement, telle est la question..).

La vie ne recroisa pas nos chemins et elle restera dans mon esprit la détentrice de mon cœur et de ses premiers sentiments…

L’Amour est bizarre, il ne vous prévient pas, ne se contrôle pas et peut vous faire mal …
la passion, la douceur et l’envie ne sont rien si l’amour se veut unilatéral…

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